Écriture libre

 

 

                Il était une fois dans la forêt enchantée, un champignon transdimensionnel. Il s'ennuyait, car il ne trouvait pas de compagne à ses jeux multidimensionnels. Son seul passe-temps dans notre plan de réalité consistait à charmer le passant :

– Mange moi, mange moi. disait-il.

– Oh un psylo ! répondait le breton, dans la forêt bretonne.

– What is that ? faisait l'anglais dans le brouillard anglais.

– Boudiou, c'te bien l'premièr' fois qu'chvois un champignon parler, j'y ai p'tet' mis trop d'nitrate. faisait le paysan dans sa serre ultramoderne.

– N'courrrl rtak'ssst. faisait l'habitant de la seconde planète d'Alpha du Centaure sur icelle.

Après ses échanges psychédéliques, il se réincarnait au gré du vent, au gré de l'humidité, au gré des courants interstellaires. Mais les hommes, les alpha centurions et les bretons le lassaient à la longue.

 

Un soir que l'ennui, ainsi qu'un ver de terre égaré, le taraudaient, le Soleil vint le réconforter.

– Ne sois pas triste, lui dit-il de sa voix protubérante.

– Ne t'approche pas trop ! lui répondit le champignon, tu brûlerais la Terre.

– Cela fait un moment que je t'observe et…

Le Soleil se tut soudain. Sa lumière décrut lentement. Son éblouissante robe évaporée il laissait voir aux animaux apeurés sa surface encore bouillonnante.

– Je croyais que tu passais derrière la Terre pour faire la nuit, dit l’agaricale à l’orbe assombri assoupi sur le sol. Tu ne me réponds pas ? Tu dors ? C'est bien ma veine.

– Tu n'as pas de veine, tu es un champignon. lui dit le ver fongicide, qui atteignait le sommet du myacé.

Ce dernier, maintenant troué comme une cheminée, n'en revenait pas :

– Un ver qui parle !

– D’avoir visité le cerveau des astronomes et des astrophysiciens ne t’oblige pas à les croire, lui dit le ver de terre.

– D'ailleurs je ne suis pas un ver, n'en déplaise au narrateur, je suis le Soleil réincarné. Répondit le … euh … le ? Bon, bref, lui répondit-il.

– La nuit, continua-t-il, je me réincarne dans la Lune, et lui donne sa brillance.

– Et les nuits sans Lune ?

– Je me repose.

– Aux antipodes, ne sont-ils donc pas éclairés ?

– Non, car la Terre est plate.

– Pourquoi n'est elle pas ronde ?

– Parce qu'elle ne tourne pas.

– Pourquoi ne tourne-t-elle pas ?

– Parce qu'elle n'est pas ronde… Maintenant que je t'ai mangé entièrement, viens donc partager mes pensées et mon voyage jusqu'à la Lune.

 

                (Où sommes nous ? Se demandait le champignon. Oh c'est beau … C'est la Lune. Je suis sur la Lune. Non, je suis dans la Lune ! Et je ne suis pas seul. Il y a tous les rêveurs : ici des mathématiciens égarés, là des cancres pendant la classe, plus loin des poètes cherchant l'inspiration dans leurs bouffées de neurotransmetteurs. Oh, il y a moi aussi. Quelqu'un a dû me manger. Qui ? Le ver, bien sûr !)

Une voix intérieure se fit entendre, c'était le Soleil :

– Comme je t'envie, toi qui peux voir le passé et le futur en même temps, tu es surdimensionnel.

– Tu ne devrais pas : tout est figé pour moi. Au lieu de le traverser j'englobe le temps. Moi qui tue des gens dans un paroxysme hallucinogène, j'ai peur de mourir d'ennui.

– Mais tu n'es pas pandimensionnel. C'est ce qui va te sauver de ta mélancolie.

(Aïe ! Ça pique. Qu'est-ce que c'est ? Une sonde spatiale qui s'est écrasée. J'en ai assez de me faire trouer. Mais que dis-je, je suis la Lune, je suis pleine de trous … de gros trous. Comme c'est déprimant, ma surface est toute ridée, si vieille !)

– J'ai cinq milliards d'années, reprit la voix, et la Lune en a quatre et demi.

(Oah ! Moi qui me croyais vieux avec mon million d'années.)

– Je n'ai rien compris à votre discussion, les interrompit une petite voix électronique.

– Qui est-ce ? demanda le champignon.

– Je suis une des unités de calcul de la sonde, miraculeusement indemne après la terrible chute à plusieurs kilomètres à la seconde. Je m'occupais des télécommunications quand j'ai surpris votre conversation, et j'en ai oublié mon travail… D’où le crash. C'est très mauvais pour ma carrière future, c'est sûr. Vous pourriez vous faire pardonner si vous m'expliquiez cette étrange discussion que vous aviez.

(Oah, sont 'achement perfectionnées les puces d’nos jours, se dit le champignon.)

– Ne t'y fies pas, prévint le Soleil. C'est une tierce personne, qui n'est là que pour aider le narrateur à faire mieux comprendre son propos.

Ben c'est malin de révéler mes artifices au lecteur.

– Il faut dire que celui-là était particulièrement grossier.

Vous n'êtes que des personnages, vous n'existez pas. (Pourtant, vous me faites drôlement suer.)

– Jouons le jeu, reprit le champignon. Chère puce … au fait, quel est votre nom ?

– ISND 9300 BVT4566 Ds T-9, mais mes amies m'appellent TPU E423 Bm.

– Chère TPU E423 Bm, vous savez sûrement qu'un seul nombre suffit à repérer un point sur une ligne ; celle-ci possède une dimension. Sur une surface plane comme celle de la Terre il en faut deux, longitude et latitude par exemple : une surface est bidimensionnelle. Dans le monde physique réel, s'ajoute une troisième dimension, la hauteur. Si vous repérez un événement dans le temps, il vous faut une quatrième donnée : l'heure à laquelle il a eu lieu. Bref, ma chère, je suis supradimensionnel, et tandis que vous vous voyez comme un objet tridimensionnel parcourant le temps, je vous vois comme un objet quadridimensionnel figé. Ce qui, je l'espère, éclaire la discussion qui vous a tant troublée tout à l'heure.

– Oui, merci beaucoup madame la Lune, répondit la puce au champignon, je sens que ma vision du monde a fait un saut …

– … De puce ? suggéra le Soleil.

– Mais non, de géant, dit le ver.

Mais depuis quand les géants sautent ?

 

– Maintenant, concentre-toi ! Ordonna le Soleil au champignon multi-réincarné. Concentre-toi très fort.

Ce dernier plissa les paupières qu'il n'avait pas, loucha très fort de ses yeux inexistants, se recroquevilla en pensée, et fit le vide en lui-même. À force, il ne fut plus qu'un minuscule point au centre de la Lune. Ici, au coeur de cet astre mort, régnaient des conditions infernales.

– Regarde, dit le Soleil, regarde cet atome.

Le champignon était maintenant assez petit pour distinguer de petites billes microscopiques, submicroscopiques même. Elles se cognaient les unes les autres, à une allure folle, comme des autos tamponneuses filmées en accéléré.

– Vois comme il n'a pas de chance, cet atome pile au centre de la Lune, il doit soutenir le poids de milliers de kilomètres de roches.

(Et dire que j'ai déjà mal aux oreilles au fond de la piscine, se dit le champignon.)

– Il porte à lui seul le poids de tous les autres, et ces autres ne sont pas dix, ni mille, ils ne sont pas un milliard, ni un milliard de milliard. Un milliard de milliard de milliard de milliard de milliard, c'est encore dix mille fois trop peu. Ils sont 10000000000000000000000000000000000000000000000000.

(Tous ces zéros, ça me rappelle les dictées à la petite école, pensa le fungus. Enfin, je veux dire, j'ai déjà visité le cerveau d'un cancre. N'allez pas croire que je suis nul en ortografe.)

– En orthographe, corrigea le ver de terre, à moins que ce ne fût le Soleil ou la Lune.

– Je ne te parle pas, lui répondit le myco-séléno-hélio-vermicule, je parlais au lecteur.

– Je te rappelle que dans un conte, comme celui dans lequel nous sommes, tu n'es pas censé t'adresser au lecteur.

– Ni toi au narrateur…

Bien dit ! Le récit est assez étrange pour n'avoir point besoin de cette bizarrerie.

 

– Soleil, comment comptes-tu me sortir de mon ennui ?

– L'espace a trois dimensions, du moins le croit-on. Le temps n'en a qu'une, dit-on. La vérité est toute autre, il y en a beaucoup plus. Cela, tu le sais, je le sais, et les hommes commencent tout juste à le comprendre. Tu les vois comme des lignes, qui traversent le temps. Pour toi qui possèdes plus de dimensions que n'importe lequel d’entre eux, le temps n'est qu'un cadre figé. Détrompe-toi, tu ne les englobes pas toutes, loin s'en faut. Je connais une dimension temporelle qu’il est facile d’atteindre et de fort grande étendue. Déplace-toi dans celle-ci, et l'univers ne t'apparaîtra plus figé.

– Oh oui, oh oui ! Dis-moi. Comment faire ?

– Mais, en plongeant dans un trou noir évidemment.

 

Le champignon fut pris au dépourvu, quand la réponse fut venue.

– Mais comment aller dans un trou noir ? C'est impossible, le premier se trouve à mille années lumière, c'est bien trop loin. Que dois-je faire ? Je ne suis qu'un pauvre champignon, je ne me déplace pas, je ne puis que pousser !

– Tu n'as qu'à faire comme tu as toujours fait, hasarda le Soleil. En te faisant manger et en te réincarnant au gré du vent solaire.

– Alpha du Centaure, c'était facile, mais là c'est deux cent fois plus loin. Les vents stellaires sont lents. Et encore. Il faut trouver un chemin qui passe par des planètes habitées où je puis pousser… S’il y en a. Non, il me faut trouver un autre moyen.

– Champignon, je dois retourner éclairer la Terre. Je te laisse ici au centre de la Lune, dans un atome de Silicium. Peut-être, à l'instar des puces électroniques, cette matière là t'aidera à trouver une solution.

 

Le mycophyte se mit à réfléchir. Il passa une journée agitée, une journée de pleine Lune.

Le lendemain soir, l'astre du jour revint le voir.

– Désolé Soleil, je n'ai pas trouvé de solution miraculeuse. Je n'entrevois qu’une approche : il me faut un vaisseau spatial, et seuls les hommes peuvent en construire. Je dois donc les persuader de me mettre dans une fusée, qui partirait pour le trou noir le plus proche. Mais comment ? Je ne passerai jamais les tests d'astronaute, je n'ai pas d'endurance, et une très mauvaise vue puisque je n'ai pas d'yeux. Au début je pensais devenir président, mais c'est idiot, les gens sont trop racistes pour élire un champignon. Je me suis dit : pénètre le cerveau du responsable d'un programme spatial et fais-toi passer pour ingrédient d'une expérience scientifique sur la pousse des agarics en apesanteur. Je n'aurais plus alors qu'à posséder le pilote, et détourner le vaisseau spatial vers le trou noir. En fait, quand la technique aura suffisamment évolué, le voyage ne durera que dix mille ans. Qu'en dis-tu ?

– J'en dis que c'est fumeux.

– C'est normal, je suis hallucinogène.

– Alors dans ce cas c'est une bonne idée.

– Merci.

– Champignon, il est temps que tu regagnes la forêt enchantée. Je te laisse à ta quête. Mais plus tard, toi qui cherches tant l'humidité, souviens-toi de l'aide qu’un jour le Soleil t'a apportée.

 

Épilogue

 

Un pauvre petit ver qui ne demandait rien se tortille au bord d'un cratère sur la Lune. La vue est très belle, mais il ne peux en profiter car quand bien même ne serait-il pas aveugle, son minuscule cerveau ne pourrait la comprendre. Pourtant, un bien étrange souvenir, concernant les dimensions, lui titille l'esprit. Il possède la solution aux mystères de l'espace-temps, mais elle ne lui sert à rien. Car ici, il fait très froid. Et bientôt, il aura complètement gelé.

 

Moralité : franchement, si vous trouvez une moralité à ce texte, écrivez-moi !

 

                             1998, Arnaud Chéritat