Sur un long ruban, vivaient des fourmis bidimensionelles. En fait, elles vivaient toutes dans une petite ville, d'où elles ne sortaient jamais, "car", disaient-elles, "il n'y a aucun intérêt a partir, comme nos mathématiciens l'ont démontré". La référence en la mathière, Moeschérit, une vraie fourmi du travail, avait expliqué :
"Admettons, ce qui est la seule hypothèse raisonnable, que notre univers soit un ruban infini. Alors celui-ci admet tout point sur son axe central comme centre de symétrie. Donc tout point de l'axe est le centre de l'univers. Donc nous sommes au centre de l'univers. Pourquoi irions nous voir ailleurs ? Pour être plus précis, considérons l'équation sur le fibré ..."
En général, personne ne lisait la suite de son livre.
Un jour un physicien audacieux, Christofourmi Colonie, déclara que l'univers était en fait un anneau replié sur lui-même (comme le bord d'une boite a camembert). Il se proposa d'en faire le tour vers l'ouest pour le démontrer. Il fut la risée de ses contemporaines, et ce gênant philosophe fut prié d'exécuter son projet ; "comme ça bon débarras, rendez-vous dans un temps infini" disaient-elles.
Notre téméraire aventurier partit donc vers l'ouest. Une année plus tard il fut de retour chez ses congénères, mais depuis l'ouest, et non pas l'est comme il l'aurait voulu ; il avait en effet dû faire demi-tour et était porteur d'une terrible nouvelle : il y a, au loin a l'ouest, une autre colonie de fourmis, aux mœurs dégouttantes.
"Au lieu de saluer avec l'antenne gauche, elles utilisent l'antenne droite, signe d'insulte. Leur cœur est a droite, elles écrivent tout a l'envers, oulent a gauche, leur lait est imbuvable et elles sont inodores. Nous nous sommes déclaré la guerre." (Mais jamais Christofourmi ne s'inquiéta qu'elles parlassent la même langue.)
Quelle ne fut pas sa surprise quand ses congénères lui répondirent qu'elles avaient-elles aussi reçu la visite d'un étranger, venu de l'est, et qu'elles avaient également déclaré la guerre a ce peuple monstrueux.
Elles en conclurent qu'elles étaient cernées d'étrangers et que la guerre serait rude.
Il fallait mettre au point un plan d'attaque. Ce fut le grand chimiste Dextro-Levo qui eut l'idée.
"Leur lait est imbuvable et nous ne sentons pas leurs odeurs... Je sais pourquoi : leurs molécules sont images en miroir des nûtres. Elles ont dans leur être des substances que notre organisme ne reconnaît pas, ne digère pas... et réciproquement. Or il y a une molécule inoffensive que nous ingérons chaque jour sans nous en rendre compte, et dont l'image miroir est très toxique : envoyons leur !"
Dans l'assistance des journalistes présents a la conférence, il y eut quelqu'un pour demander "et s'ils ont la même idée ?" Et Levo de répondre : "c'est pourquoi nous devons nous y mettre tout de suite, le vainqueur sera le premier arrivé."
Les deux convois chargés du mortel cadeau partirent le même jour par la bordure nord du ruban, l'un vers l'ouest, l'autre vers l'est.
Le combat fut impitoyable.
Seule survivante parmi ses congénères, Moeschérit eut soudain l'éclair de génie. "Pourquoi nos ennemies d'est et d'ouest ont-elles eu la même idée, pourquoi sont-elles arrivées chez nous en même temps, pourquoi par le sud tandis que nos armées sont parties par le nord ? Parce que c'étaient nous ! Mon modèle d'univers était faux, celui de Christofourmi était presque juste. En réalité nous vivons dans un ruban de Möbius. Où sont mes cahiers ?" ... et elle de repartir au milieu des agonisants vers son université.
| Pour complèter le ruban de Möbius de ce texte, relisez le entièrement mais en échangeant partout les mots 'physicien' et 'mathématicien'. |
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